Des Femmes Qui Tombent by Desproges Pierre

Des Femmes Qui Tombent by Desproges Pierre

Auteur:Desproges, Pierre [Desproges, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Humour
ISBN: 9782020089746
Éditeur: Seuil
Publié: 1985-12-09T23:00:00+00:00


Chapitre XIV

Un rayon blanc de petit matin s’immisçait maintenant aux franges des rideaux. Alain et Catherine avaient passé la nuit à remuer le souvenir de Claire.

Appuyé sur un coude, auprès d’elle étendue sur la moquette, l’homme contemplait la tranquille beauté mûre de ce corps de femme à l’apogée de sa séduction. La quarantaine lui allait comme le vert sied aux roux. L’imminence de son déclin, que voulait la ridule à son cou, semblait repoussée aux calendes par soif d’amour régénérant et de salubres fredaines. Alain chantonnait une mélopée d’automne, un peu à côté de sa voix, comme souvent au réveil. C’était un chant machinal et sans joie qui lui venait de l’instinct, car il avait plus envie de pleurer, et Catherine le savait.

Il mimait un sourire en suspens, au bord des larmes. Un mois et demi plus tard, ils seraient partis pour Ibiza, comme l’année dernière, dans la villa mauresque extravagante et blanche, cernée de bougainvillées violettes et de grenadiers rouges, plaquée aux flancs arides de San José où l’on n’arrivait qu’en jeep, à l’assaut d’un raidillon de caillasses éclatées dans un nuage ocre de sable fin qui, le jour, collait à la sueur et donnait à la nuit des pâleurs effrayantes. Dans l’éclat des phares, disait Claire, tous ces pins torturés sont des sorcières à poil, trop maigres et trop poudrées de riz.

Du haut des jardins-terrasses arabyzantins, on dominait la baie de San Antonio où des brassées de Suédois élastiques, écrevissés d’Ambre solaire, gigotaient après rien en attendant le retour des brumes sur le Götaland. À la midi, quand le soleil était trop chaud, ils remontaient en file indienne jusqu’à l’hôtel Pueblo. Vus des hauteurs de la villa, ils étaient minuscules et sans importance. Claire, qui les avait filmés en super-8, avait baptisé la séquence «Le retour des fourmis rouges ».

Catherine pensait : J’ai faim d’amour.

— On n’a jamais autant faim qu’en rentrant des cimetières, dit-elle très bas. Et, souvent, les plus sincèrement tristes sont les plus affamés. Ce n’est obscène qu’aux imbéciles. C’est l’instinct de survie qui pousse au buffet...

Elle caressa les cheveux d’Alain. Frôlement subtil de tendresse aiguë. La main à peine. Rassurer l’enfant fautif.

Et lui regardait cette femme farouche qui parlait de mort et d’amour en bandant du bout des seins. Une formidable envie jumelle le jeta contre elle. Elle dit :

— Baise-moi. Je suis malheureuse.

Ils mélangèrent leurs chagrins et leurs salives et se prirent farouchement. Elle cria sous lui, le poussant aux fesses avec la frénésie calculée des jouisseurs intégraux qui baisent à mort pour s’envoyer au ciel. Elle baisa amplement, elle baisa jusqu’aux yeux, comme baisent les femmes. Et lui, farouche et sombre, et beau comme un taureau fâché, rude, raide et suant, la taraudait au ventre avec la terrible sérénité de la vague érosive au clapot obsédant toujours recommencé. Et les écumes chaudes leur léchèrent le ventre.



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